Le rapport de non-conformité tombe sur votre bureau. Vous débutez à peine la lecture et vous savez ce qui s’en vient. L’investigation commence et vous voyez déjà les écarts s’accumuler. Vous initiez quelques entrevues pour dénicher la raison de l’écart et les gens vous répondent… mais vous savez déjà ce qu’ils vont vous dire :

«On n’a pas assez de personnel pour tout faire! »

« Les équipements ne sont pas bien entretenus! »

« Le gars de la maintenance est venu hier et depuis, rien ne marche! »

« ILS ont mis un nouveau sur la machine et il n’était pas en forme! »

« La procédure est tout croche et ILS nous disent de la suivre quand même. »

Déjà vu!

Le processus d’investigation sera tout simple finalement. Même problème, même solution.

On reforme tout le monde.

On révise la procédure.

On se plaint à la maintenance.

On resserre le suivi sur les entretiens préventifs.

On resserre les règles aussi… Et pouf! L’engagement et la motivation s’étiolent!

Et hop. Fini.

Jusqu’à la prochaine investigation.

D’accord, d’accord, j’exagère un peu. Mais peut-être pas autant que vous ne l’espéreriez.

Les processus d’investigation sont monnaie courante dans toutes les compagnies réglementées. Investigation de qualité ou enquête d’accident, le processus est le même. Et dans plusieurs compagnies, les mêmes déficiences sont observées au niveau du processus. Sans vouloir m’attarder au processus lui-même (le sujet d’un cours complet!), je vais m’attarder à un détail particulier qui empêche les processus, quels qu’ils soient, de fonctionner parfaitement : le détail.

Non, ce n’est pas une faute de typo. Le détail particulier est le détail. Ou plus exactement, le détail extrême auquel les investigateurs ou auditeurs responsables des investigations sont habitués. Après tout, on sélectionne les gens en assurance qualité et en contrôle qualité pour leurs habiletés à s’occuper des détails. Une procédure sans faille, une exécution parfaite, une documentation impeccable. Tout parle de détails. Tout crie de détails!

The devil is in the details! Le problème est dans les détails. Et nous pouvons tous donner un exemple d’un investigateur particulièrement détailleux, pour ne pas employer un langage moins élogieux, qui nous a cloué le bec en trouvant, dans une pile de dossiers, une incongruité incriminante. Certains sont passés maîtres dans la fouille des détails. Et ceux-là deviennent inspecteurs!

Et ils développent une redoutable expertise pour déceler les écarts invisibles pour le commun des mortels. Cependant, car il y a un GROS cependant, lors dune investigation, les détails sont invisibles. En fait, on voit rarement le problème tel qu’il est. L’investigation requiert de recréer les détails, de reconstituer l’histoire de l’événement.

Deux choses arrivent alors :

1- L’investigateur focalisera son attention sur les détails entourant l’événement… Bien sûr.

2- L’investigateur, comme tout être humain normal (j’avoue que dans certains cas, on peut s’interroger sur le côté HUMAIN de certains investigateur… mais passons), va avoir tendance à sauter aux conclusions rapidement en se basant sur son vécu, son expérience et son expertise.

2 talons d’Achille.

Il a été démontré que le multitâche (multitasking) est impossible pour le cerveau. Le récent débat sur l’utilisation des cellulaires au volant en est une démonstration probante. En effet, et à l’encontre de ce que les adolescents qui chatent-parlent-étudient-et-Facebook en même temps vous diront, le cerveau ne peut accorder toute son attention sur plus d’une tâche à la fois. Au mieux, il partage ses efforts de concentration. DONC, à l’instar des microprocesseurs de nos ordinateurs, un peu de capacité de concentration ici, et maintenant un peu là, un peu encore ici, et on retourne là… ad nauseum. Oui ad nauseum, car la surcharge sur le cerveau devient énorme jusqu’à le rendre malade. Donc une concentration moins qu’optimale sur la tâche.

À moins d’être un investigateur aguerri qui ne se laisse pas distraire et concentre 100% de son attention dans une direction qu’il connaît bien… les points 1 et 2 mentionnés plus haut. Toute son énergie cérébrale est focalisée dans la recherche des détails avec des références croisées vers tous les articles de la réglementation canadienne, américaine , européenne, japonaise et suédoise (bon, on oublie les regs de la Turquie pour le moment, car cet investigateur manque un peu d’experience). BREF… La BIG PICTURE prend le bord… avec le fin fond de l’histoire qui aurait pu mener a la résolution de l’énigme et de l’investigation.

Vous êtes toujours sceptique et croyez que VOTRE cerveau ne se laisse pas berner? Quelle couleur et quelle marque d’auto conduisez-vous? Avez-vous remarqué le nombre hallucinant de véhicules de la même marque et de la même couleur que la vôtre qui circulaient dans les rues DEPUIS VOTRE ACHAT!?! Jamais auparavant vous n’aviez remarqué… Votre cerveau a simplement commencé à focaliser sur CE détail… Mais dites-moi… Avez-vous également remarqué les autres couleurs de VOTRE marque de véhicule? Ou encore combien de marques de véhicule affichaient la MÊME couleur que la vôtre… Oui, oui, cette superbe couleur dont le vendeur vantait les caractéristiques uniques… Votre cerveau vous joue des tours en continu… Heureusement, car plusieurs automatismes semblables vous permettent de fonctionner normalement.

Ces automatismes sont toutefois moins désirables dans un contexte d’investigation et les causes réelles de l’événement, de l’écart, risquent de rester cachées à jamais, enfouies par les prétentions nativistes d’investigateur chevronné. Le souci du détail devient le talon d’Achille dune bonne investigation… Si vous la faites seule! Car si VOTRE cerveau ne peut faire du multitasking, les cerveaux de L’ÉQUIPE d’investigation peuvent, ensemble, voir une multitude de détails variés, poser une pléthore de questions dont les origines, parfois douteuses j’en convient, faciliteront le dévoilement de l’histoire et, finalement, élaboreront une série d’actions correctives, mais surtout préventives pour éviter que le même rapport de déviation ne retombe sur votre bureau.

Le respect de la qualité, encore une fois, C’EST une affaire d’équipe.

Je vous laisse donc sur ma définition favorite d’une équipe.

Une équipe, C’EST moins de MOI et plus de NOUS.

Par François Lavallée, M. Sc.

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