Une seule bonne réponse
En investiguant le processus de certification d’un ordre professionnel, je fus abasourdi de constater que le processus repose sur un examen à choix multiple.
Plus de 20 ans comme intervenant dans ce domaine d’expertise, dont 10 comme gestionnaire d’une multinationale et plus de 12 ans à mon compte ne comptait pas.
Mom pas d’espoir d’avoir une entrevue pour confirmer mon expérience et mon expertise.
« Nous respectons votre vaste expérience, mais avez-vous une base sur tel sujet ? »
« Bin non, je n’ai pas fait d’étude universitaire sur ce sujet. Je n’ai que lu 30-40 livres par année depuis 20 ans… »
« Ah… hmm… nous encourageons la formation et le développement autodidacte bien sûr, mais…. vous savez on doit aussi respecter notre code de déontologie… »
« Bref, je dois passer l’examen ? »
« Oui. »
L’examen.
Le plan d’étude est une série de livres à lire ! Plus de 100 heures d’études sur des sujets généraux et spécifiques, dont la moitié n’ont aucun lien avec ma pratique professionnelle.
Bon.
Peut-être cela vaut-il quand même la peine et les efforts pour avoir quelques lettres de noblesse ajoutées à ma signature.
J’ai déjà le M.Sc., maîtrise en biologie moléculaire.
J’ai déjà le CTDP, Certified Training et Development Professional. De Institute for performance and Learning, anciennement le CSTD.
J’ai déjà la certification SDI de Personal Strength
J’ai déjà la certification de deuxième niveau de ATMAN
Ah oui, et aussi la certification de Coaching Ourselves, de Lenir et Mintzberg.
J’ai plus de lettres de certification à ma signature que dans mon nom! Ai-je besoin de cette nouvelle certification? Aucun de mes clients ne m’a jamais demandé quelle certification suivait mon nom.
Aucun.
Mais j’ai hésité encore jusqu’à ce que je vois le plan d’étude et la page d’instruction pour réussir l’examen. Une page de trucs pour réussir l’examen à choix multiple !!!
Les mêmes trucs qu’on nous donnait en 1980 pour réussir les examens du ministère de l’Éducation.
Planifiez votre temps, 150 questions en 3 h
Répondez aux questions faciles pour commencer
Procéder par élimination et logique si vous n’êtes pas certain
Et la meilleure…
Si vous ne savez pas, essayez n’importe quoi étant donné qu’une mauvis réponse de fait pas perdre de points!
On tente ensuite de nous expliquer la méthode statistique d’analyse des résultats pour établir la note de passage.. Rien d’arbitraire, mais plutôt basé sur la moyenne du groupe.
Bref… on vous donne une certification basée sur les points et vous donne les trucs pour avoir des points,
J’ai décidé de ne pas faire la certification dans ces conditions.
Je recherche une certification, une reconnaissance de mon éducation auto didactique et de mon expérience. ET non un bout de papier… bout de papier que je devrai renouveler chaque année pour avoir le droit de mettre ces 4 lettres à la suite de mon nom.
Tant que je paie, je suis OK. Je ne serai pas audité. On ne me demandera pas de prouver que je suis encore compétent, mais seulement de démontrer que je continue à lire (bien que mes lectures ne soient pas reconnues ou comptabilités) et que je suis des formations accréditées par cette association…
Bref…
On valorise les lettres et la valeur de ma contribution financière et non mon éducation.
Il n’y a qu’une bonne réponse à chaque question.
On ne me donne pas le choix d’élaborer, de justifier, de démontrer mon raisonnement.
Une seule bonne réponse.
Celle que je dois régurgité de mes lectures. Sans réflexion ou mise en contexte.
Une seule bonne réponse.
Celle que j’ai lue dans le livre proposé et mémorisé pour l’examen.
Alors que les grandes tendances de notre société vont à l’encontre de ce principe tel que le démontre Robert Kelley.
L’accès à l’information passe par nos réseaux. Pour libérer notre cerveau et lui permettre de réfléchir librement plutôt que de l’encombrer par des circuits neuronaux obsolescents et des informations ou paradigmes pré-programmés. Mais bien sûr , on ne permettra pas l’utilisation du web pendant l’examen….
Le Taylorimse à son état le plus pur.
On se croirait revenu à l’ère de Frederick W. Taylor quand il a mis en place les principes scientifiques de la gestion au début du sicle précédent. Une seule bonne méthode, cell que les ingénieurs avaient mesuré et évalué et uniformisé dans l’entreprise. On ne déroge pas. Seuls les experts peuvent résoudre les problèmes.
Jusqu’en 1950 alors que Lewin et ses Copains développent le concept de gestion participative et permettent à tout le monde de résoudre des problèmes… pendant quelque temps et jusqu’à ce que les experts reviennent et inventent le développement organisationnel et trouvent des solutions impliquant la vision système.
Mais aujourd’hui…
- Avec les réseaux de connaissances élargis,
- La multitude de sources d’information,
- les concepts d’intelligence collective véhiculés en autre par Pierre Levy, Joel de Rosnay, Olivier Zara et autres
- Les complexitools de Niels Pflaeging
- Le beta perpétuel de Harold Jarche
- La wirearchy de Jon Husband
Aujourd’hui on ne peut tolérer « une seule bonne réponse ».
Une seule bonne réponse à une question, une situation ou un défi implique que nous avons déjà TOUT compris du contexte.
Nora Bateson frémirait de lire cela. Nora, dont le célèbre père anthropologue Gregory Bateson a illuminé tant de grands esprits, présentait à Montréal en janvier 2018 sur ce qu’elle appelle la transcontextualisation.
En d’autres termes l’interaction entre les contextes. OU l’interaction entre les systèmes d’une organisation. OU entre les ministères d’un gouvernement. … qui peut douter de ces interactions, tantôt, distinctes, tantôt diffuses entre les parties ? En poussant plus loin, on se rend compte que tout est interrelié. La physique quantique démontre même que nous serions tous, en tout temps, entremêlés, entortillés les uns avec les autres. Sans tomber dans la métaphysique et ses implications du phénomène, il est aisé de comprendre que toute situation est en fait, en interaction avec… autre chose.
Toute question au sujet de cette situation entraînera d’autres questions jusqu’à ce que tout soit clair… jusqu’à ce d’autres questions ne soient posées pour fournir un autre éclairage d cela même situation.
Il faut quand même faire une pause et prendre une décision à un moment donné!
La grande complexité accompagnée de l’ambiguïté de notre monde moderne, de l’incertitude des marchés et de la volait de cette nouvelle globalisation nous force à envisager notre environnement de travail et planétaire avec une plus grande révérence… et une moindre naïveté à la solution idéale proposé par notre expert !
Le XXIe siècle deviendrait-il l’âge d’or des néo-généralistes? Ces gens polymathes qui ont une large perspective sur de nombreux sujets, sans jamais creuser complètement. Contrairement à « expert d’autant qui a une profonde connaissance sur un nombre réduit de sujets, le Neo généraliste aborde la réalité sous de multiples angles.
Après tout, en exagérant un peu, l’Expert et sa profonde connaissance peuvent être imaginés résidant dans leur profonde crevasse, en contrôle de son domaine limité d’expertise. Les solutions proposées lui viennent facilement, après tout il connait tout de son domaine d’expertise. Tout est si simple pour l’Expert!
For every complex problem there is an answer that is clear, simple, and wrong.
H. L. Mencken
À l’inverse le néo-généraliste posera beaucoup de questions, facilitera la découverte de nouvelles perspectives, impliquera la collectivité dans la recherche d’information et proposera, en collaboration avec un grand nombre de participants, une solution plus contextualisée, plus adaptée à la situation.
Les environnements compliqués qui ont perduré jusqu’à la fin des 30 glorieuses après la dernière guerre mondiale ont vu l’émergence des experts.
L’environnement VICA qui nous entoure maintenant requiert d’autres solutions que celles proposées par les experts. Ou plutôt, des solutions qui incluent les experts ainsi que la collectivité.
La bureaucratie et le plein pouvoir aux procédures qui a régné (et qui règne encore) devra progressivement disparaitre ou se diluer pour faire place à des structures dissipatives plus flexibles et plus adaptées à l’environnement changeant qui nous entoure.
Bien que tous les modèles soient faux, certains sont utiles, comme se plaisait à le dire George Box.
Le modèle cynefin de Dave Snowden fait partie de ceux-ci.
On comprend que nos sociétés, nos organisations, nos gouvernements ont tendance à prendre des décisions sur une conception simple ou compliquée de la réalité. Nos fortes bureaucraties nous rendent complaisants et certains crises en résultats (exemple la tempête de neige de mars 2017 à Montréal). La procédurite qui afflige tant d’organisations laisse peu de place à l’initiative alors que la complexité des situations l’exige!
Une seule bonne réponse n’est pas la solution!
Il faudra rapidement se résigner à accepter que la bonne réponse puisse varier d’une fois à l’autre, qu’il faudra recommencer à réfléchir et à innover avec tous les risques que cela comporte.
Une seule bonne réponse est la voie pour notre ultime échec, celle de l’éradication de l’humanité.
Une seule bonne réponse n’est plus acceptable.
Je n’aurai jamais ces lettres de noblesse après tout.
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