Sortez de votre caverne
La caverne de Platon!
Ah!
Mes fils me parlent de cette allégorie depuis qu’ils sont passés par le CÉGEP. Le plus frustrant dans cette histoire? Je ne la connaissais pas!
Mais que voyait-on en philosophie à mon «époque»?
Quel malheur de constater que cette discipline que j’apprécie de plus en plus nous a été forcée dans la gorge sans que nos jeunes âmes en perçoivent la valeur!
Cette allégorie est de plus en plus pertinente en notre ère de VICA (volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté).
Elle est également de plus en plus pertinente dans la perception de mon rôle auprès de mes clients.
Attachez vos tuques on commence par entrer dans la caverne!
Platon était le disciple de Socrate. Ce grand philosophe (bien qu’on ne sache pas exactement sa taille) aimait parler, mais refusait d’écrire. Aujourd’hui, on dirait que c’est une excuse pour ne pas dévoiler un problème de dyslexie ou d’analphabétisme, mais je doute que ce n’ait été le cas pour Socrate. Il est reconnu pour avoir pondu ce dicton :
«Les paroles s’envolent, mais les écrits restent.»
Ces écrits sont à la base de notre société de droit, qui se fie à des contrats sociaux et d’affaires, des lois et des jurisprudences, des normes et procédures, pour gérer notre société au quart de tour… à notre grand désarroi d’ailleurs.
Mais Socrate avait autre chose en tête…
Les écrits restent… figés! Aucune évolution!
Les paroles s’envolent… et élèvent la pensée, l’esprit!
Ahhhhhh… rafraichissant!
Socrate racontait des histoires et posait des questions.
Platon écoutait, apprenait et… retranscrivait!
La caverne de Platon est tirée de «La République», un texte essentiel pour une bibliothèque. Et pour l’esprit… si on réussit à passer au travers. Heureusement, plusieurs philosophes modernes nous aident à y voir clair, même si comme tout bon texte philosophique, chacun en tire ses propres conclusions. Voici les miennes.
L’allégorie
Des hommes et des femmes sont enchainés dans une profonde caverne depuis leur naissance (ne cherchez pas à comprendre pourquoi… Platon et Socrate sont de vieux Grecs). Ils font face à un mur sur lequel sont projetées des ombres. Ces ombres proviennent d’objets que de sadiques geôliers font danser entre le mur et un feu ardent. Les prisonniers voient donc défiler devant eux des formes auxquelles on associe des noms. Un arbre, un chat, un humain, une épée, une mitochondrie (ben, oui)… Or, un de ces prisonniers se déchaine, littéralement, et réussit à s’échapper. Il amorce donc une longue et très pénible sortie de la caverne.
Pénible, car le monsieur (commençons par un homme en assumant qu’il a tiré sur ses chaînes avec davantage de force qu’une femme… quoique certaines athlètes russes auraient réussi plus rapidement), le monsieur donc, a les muscles atrophiés par cette longue période d’enchainement.
Longue, car la caverne est profonde et que chaque pas vers la sortie est douloureux et requiert de fréquentes pauses (on dit aussi que le syndicalisme sauvage est né à cette époque).
Mais l’espoir de la sortie et la lumière grandissante l’encourage à poursuivre.
Il sort finalement de la caverne et subit plusieurs chocs.
1- Ses yeux habitués à l’obscurité de la caverne ne peuvent supporter autant de lumière.
2- Il ne comprend pas ce qu’il voit (une fois que les larmes abondantes causées par l’éblouissement soudain furent séchées)
Notre prisonnier ne peut décoder la réalité qui l’entoure. Les arbres, immenses et si nombreux, les animaux qui… bougent?, l’horizon… qui n’en finit pas et… mais quelle intensité… quelle est cette boule qui heurte ses yeux, chauffe sa peau? Le soleil est un choc profond, ce qui n’est pas peu dire pour un mec qui sort du trou!
Notre bonhomme peine à saisir son environnement, mais y arrive malgré tout (finalement, notre histoire aurait peut-être évolué plus rapidement si une femme était sortie d’abord… bon, enfin… on ne le saura jamais, Socrate et Platon ayant tous deux une vision relativement masculine de la vie en société).
Une fois la réalité de sa situation bien comprise, il prend une grande décision: il veut partager son expérience et cette nouvelle connaissance. Il pense alors à contacter le responsable de l’agora locale pour donner une série de conférences et partir en tournée dans toute la Grèce antique.
Si seulement… le public des agoras avait été assez réceptif pour amorcer de longues discussions qui se seraient avérées pertinentes.
Mais non… notre pauvre libéré décide de redescendre dans la caverne pour éduquer et illuminer, le mot est faible, ses congénères.
Il redescend péniblement et arrive devant ses pairs.
Il les harangue de cette réalité si différente des ombres sur le mur.
Sa grande passion pour son message, et le fait que ses yeux ne sont plus habitués à l’obscurité, ne lui permet pas de voir l’étonnement sur le visage de ses compères.
«Mais qu’est-ce qu’il dit?»
«Il déraille… des chats qui bougent, des arbres plus haut que le mur, un ..quoi? un soleil?»
«Il est déchaîné!»
Eh oui.
Et il frappe un nouveau mur: celui des paradigmes.
Il aurait aimé les convaincre de monter avec lui, avec leurs chaînes dans le pire des cas (d’où l’idée de la chaîne de montage) pour au moins avoir une première expérience de la nouvelle réalité.
Mais les chaînes mentales de ses pairs étaient de loin, beaucoup plus difficiles à briser que les chaînes physiques qui les attachaient au mur.
La souffrance que ses pairs lisaient sur son visage, la déception qui tirait ses traits et la dépression dans laquelle il s’enfonçait n’arrangeaient rien…
«Le pauvre! Cette sortie de caverne lui a causé bien des problèmes! Pas question que je m’y risque à mon tour!»
Et notre hère de continuer: «Mais vous ne comprenez donc pas? La vraie vie est dehors! Ce qu’on nous montre ici nous empêche de vivre!»
Devant tant d’incompréhension, notre nouveau consultant tente de trouver des clients ailleurs.
Oh…
Je fais de la projection…
En fait, si peu.
En étudiant un peu cette allégorie, je ne peux que comprendre et m’adapter.
En réfléchissant sur mon parcours des 30 dernières années, je réalise que l’éducation qu’on nous promulgue ne sert qu’à nous encourager à voir une certaine réalité tout en stimulant, un peu, un esprit de découverte. Découvertes qui, chaque fois, perturbent l’ordre établi par ceux qui nous ont éduqués et qui, dans certains cas, ont réussi à nous faire penser par nous-mêmes. Bien mal m’en prit quand je tentai de faire voir à mes profs cette autre réalité!
Je me rappelle clairement une discussion avec le Docteur John Bell, professeur à McGill en 1987. Nous étudiions les facteurs de transcriptions, une nouveauté à l’époque. Avant même le premier séquençage du génome humain. Les scientifiques de l’époque évaluaient à plus de 50 000 le nombre de gènes chez un humain. Ces gènes étaient contrôlés par des facteurs de transcriptions, autres protéines provenant elles aussi de gènes. Donc les 50 000 gènes étaient contrôlés par 50 000 facteurs de transcription? Énigme… en 1987 on avait découvert environ 5 facteurs… des belles avenues de recherches pour les étudiants en biologie moléculaire… mais voilà… que je me mets à penser, et s’il y avait seulement quelques dizaines de facteurs, interagissant entre eux pour former des complexes de facteurs sensibles à la concentration de métabolites et des autres facteurs… ma tête tournait avec les possibilités et la relative simplicité du modèle. J’en parlai au Dr Bell, très excité… pour découvrir que les ombres de ses paradigmes scientifiques l’empêchaient de m’écouter.
Je suis sorti de ma caverne… et du programme de Ph. D. de McGill par la suite (les conclusions de ma thèse de maîtrise ont irrité également mon directeur de thèse de l’époque…).
J’ai rencontré le même mur de paradigmes à chaque nouvel emploi. En effet, la vision du monde communiquée par nos organisations, nos gouvernements ou nos média de masse officiels (ou non) nous laisse entrevoir une perspective de la réalité qui ne correspond pas au monde qui nous entoure.
J’ai quitté mon dernier emploi en 2005, quand le mur des paradigmes du «lean manufacturing» lorgnait au-dessus de ma tête… Ah, j’adore le «lean» comme philosophie de travail pour aider les gens à mieux travailler, mais mon patron de l’époque concevait l’implantation du «lean» comme levier pour faire de plus grands profits. Oups… confondre le moyen pour la fin.
Je suis de nouveau sorti de ma caverne et du monde corporatif.
Mon plus grand défi maintenant est de redescendre dans la caverne pour expliquer lentement, doucement, à mes anciens collègues prisonniers qu’une autre réalité existe et qu’un peu d’effort leur permettra d’y avoir accès.
J’ai réalisé au fil des années que je ne peux briser leur chaîne sans leur aide.
J’ai aussi réalisé que je ne peux les pousser vers le haut, mais simplement leur tendre la main.
J’ai aussi réalisé que la douleur de la prise de conscience en fait redescendre plusieurs.
La sortie de la caverne est un voyage mental à sens unique. Il n’est pas possible de revenir à notre ancien mode de pensée.
Ralph Waldo Emerson, philosophe et essayiste américain, le disait bien :
«L’esprit, une fois gonflé par une nouvelle idée, ne revient jamais à ses dimensions d’origine.»
Mais j’ai espoir! À chaque rencontre, à chaque évènement public, à chaque communauté de pratique, des participants acceptent de faire prendre de l’expansion à leur esprit!
Ensemble, la sortie de la caverne sera moins pénible et inéluctable!
Sortez de votre caverne!
Faites-le seul ou en équipe.
Faites-le lentement ou en courant.
Faites-le une fois ou à répétition.
Mais sortez de votre caverne!
Les ombres de vos paradigmes ne méritent pas votre attention, vos peines et vos efforts.
Sortez de votre caverne!
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Crédit de photo : Joshua Sortino on Unsplash
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