Le principe du trombone : interactions garanties

Einstein était reconnu pour ces expériences mentales, les « thought experiments ». Idéal pour mettre à l’épreuve ses hypothèses sans aucune limite de budget ou de contraintes physiques. Imaginez-vous assis sur un rayon de lumière… verrez-vous votre reflet dans un miroir ? Et si vous allumez une lampe-torche en visant devant vous, la lumière de la torche ira-t-elle plus vite que vous si vous êtes déjà assis sur un rayon de lumière ? Les vitesses s’additionnent-elles comme celle d’une balle de baseball lancée à partir d’un train en mouvement? 

WOW!!

Il fallait Einstein pour penser à cela… pour développer sa théorie de la relativité.

Mais il n’est pas le seul à le faire : Philippa Foot, Edmund Gettier, Galilée et Aristote pour n’en nommer que quelques-uns.

Et bien, j’ajoute mon nom, très, très (oh, deux ne sont pas assez…) TRÈS humblement, à cette liste… mais seulement parce que j’ai imaginé et visualisé cette expérience avant de la tester. Mais bon… lundi matin… écriture du blog… comme à mon habitude depuis maintenant 12 ans… je me donne une petite tape dans le dos. Vive l’autodérision!

J’ai appelé cette expérience le principe du trombone.

Imaginez 100 trombones dans une petite boîte (je ne crois pas que les trombones se vendent à moins de 100 unités par boîte!).

Si on ouvre la boîte, combien de trombones seront attachés les uns aux autres? Aucun? 2 ? 5?

La bonne réponse, la réponse la plus exacte sans être précise : quelques-uns.

Ces trombones ont tous été produits séparément. Personne n’en doute.

Que s’est-il passé pour qu’ils soient maintenant attachés ensemble?

ATTENTION : Question très sérieuse!

Certains diront qu’il faut vraiment se sentir obligé d’écrire un blogue pour penser à ce genre de choses et polluer la blogosphère avec ces élucubrations, mais… NON!

C’est effectivement une question très sérieuse que la plupart des gestionnaires n’abordent jamais.

Que s’est-il passé ? 

D’abord un peu d’histoire, l’histoire du trombone!

Ce minuscule outil a été inventé à la fin du 19e siècle. Un brevet officiel a été livré à Matthew Schooley en 1898. Notre trombone a même un nom : le Gem Clip. Maintenant que cet humble outil a reçu le respect qu’il mérite, continuons la réflexion.

Que s’est-il passé avec nos trombones Gem? 

Simple : la boîte de trombone a été secouée pendant le transport entre l’usine de fabrication des trombones et votre bureau

(ouais, je sais ça sonne bizarre une « usine » de trombones… mais ça existe en Chine et ailleurs

Et si l’idée vous enchante, lancez votre entreprise de trombones en achetant une machine à trombones )

Mais quel genre de secousse est nécessaire pour que les trombones se lient entre eux? Et pourquoi doit-on y penser ? Ça s’en vient!!

Mon expérience va comme suit : 

  1. Compter et détacher 100 trombones
  2. Remettre les 100 trombones dans une boîte
  3. Secouer la boîte une fois 
  4. Compter les trombones reliés ensemble
  5. Remettre les trombones dans la boîte
  6. Répéter les étapes 2 à 5 et indiquer à chaque fois combien de trombones sont reliés entre eux

J’avais imaginé qu’avec le nombre de trombones (100) et la facilité avec laquelle ces petites bêtes peuvent s’entrechoquer, que le nombre de trombones attachés entre eux serait élevé après quelques coups. Après tout, à chaque fois que je veux un trombone, on dirait qu’ils sont deux!

Mais en fait, et c’est ici que mon hypothèse originale a échoué… en générant une conclusion surprenante et aux conséquences profondes (voir plus bas)

J’ai rapidement changé le modus operandi de mon expérience. En effet, après 5 répétitions rien ne se passait!

La prochaine étape a été de secouer la boîte 10 fois de suite en une étape.

Rien.

20 fois… oh, que vois-je, deux trombones attachés ? Non, à peine touchés ils se sont détachés. Ah tiens, je viens de réinventer le maracas du même coup.

Ok.. le monsieur se fatigue : 100 coups… « shaken not stirred » comme dirait James !

Hmm… 2 trombones bien attachés.

On continue… non. On réfléchit.

Plan-Do Study-Act disait Deming.

Et Thomas Pyzdek lui suggère Select-Experiment-Learn 

 

Alors qu’est-ce qui se passe ?

Statistiquement parlant, le nombre d’interactions entre 100 trombones est (n-1)! à chaque secousse (statisticiens corrigez-moi !). Le potentiel d’interaction est énorme, mais le potentiel de créer un lien durable est beaucoup plus faible. Ceci change progressivement en secouant à répétition la boîte.

Résultat : quand vous prenez un trombone dans VOTRE boîte sur VOTRE bureau, il arrive assez fréquemment d’en trouver 2 bien imbriqués l’un dans l’autre.

Mon hypothèse originale voulait vérifier le potentiel d’interactions aléatoires entre 100 trombones dans une boîte pendant les secousses.

En fait, je voulais utiliser cette métaphore pour modéliser ce qui se passe dans une organisation (une boîte) de 100 individus quand celle-ci est secouée par des évènements (d’opérations quotidiennes à catastrophes imprévues).

Mon hypothèse originale tentait de prouver que les interactions se forment rapidement et durablement.

J’avais tort.

George Box le dit bien : tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles.

Aucune prétention de ma part donc.

Mais j’aurais dû le prévoir! 

Après tout, on ne devient pas amis avec un inconnu à la première rencontre. 

On ne fait pas confiance à un collègue après une seule réunion. 

On ne se confie pas à son patron dès la première rencontre un à un!

En fait, cette expérience fut révélatrice et représente bien la situation que j’observe dans les organisations !

  1. Les interactions solides et durables prennent du temps à se former
  2. Les interactions aléatoires sont de moins en moins la norme dans les organisations… on les empêche dans certains cas on créant des silos fonctionnels presque scellés les uns des uns.
  3. Les organisations n’aiment pas être secouées… réduisant ainsi les possibilités d’interactions
  4. Les résultats des secousses sont imprévisibles : aucun « plan », aucune « stratégie » ne pourra prévoir la prochaine secousse
  5. On peut se préparer à être secoué en facilitant le potentiel d’interactions pendant les accalmies
  6. On ne peut voir ces interactions… aléatoires, le mot le dit… et ça, ce côté imprévisible, les organisations n’aiment pas ça du tout!
  7. Les interactions aléatoires sont pourtant la base de la créativité et de l’innovation

Reprenez maintenant la métaphore et adaptez-là à votre organisation (je vous aide un peu ici, mais mon interprétation n’arrivera pas à la cheville de la vôtre si vous faites l’effort d’y penser)

1— Les interactions solides et durables prennent du temps à se former

Faites-vous des efforts pour permettre à vos employés d’interagir souvent et dans des circonstances différentes (pas seulement des réunions) ? 

Quelques suggestions : 

  • Lieux de rencontre conviviaux ( pas seulement la cafétéria froide et impersonnelle), 
  • Un BBQ à chaque mois d’été, 
  • Des 3-5 (pas un 5-7 après le boulot quand même!!) avec thèmes pour stimuler les discussions,
  • Des cartes de lunch/déjeuner gratuit avec des noms de collègues déjà choisis pout stimuler les rencontres entre les services etc…

2— Les interactions aléatoires sont de moins en moins la norme dans les organisations… on les empêche dans certains cas on créant des silos fonctionnels presque scellés les uns des uns.

Vos silos sont-ils des obstacles aux interactions? Vos équipes de projets sont-elles multidisciplinaires? Red Hat, une compagnie développant des logiciels libres, possède une structure « libérée » ou « ouverte » qui facilite les interactions, tout le contraire de ce qu’on voit trop souvent dans la plupart des grandes organisations.

Quelques suggestions

  • Assigner plus de gens de tous les niveaux pour les grand projets de réflexion 
  • Élargir la réflexion stratégique à plusieurs niveaux hiérarchiques 
  • Permettre à tout un chacun d’assister au comité directeur
  • Ajouter une chaise vide autour de la table du comité directeur pour les invités surprise

3— Les organisations n’aiment pas être secouées… réduisant ainsi les possibilités d’interactions

Vos processus internes sont-ils trop conformes et trop bureaucratiques?

Êtes-vous victimes de la procédurite? 

Vos employés doivent-ils communiquer seulement à leur n+1, leur supérieur direct dans la hiérarchie ou peuvent-ils parler aux autres patrons?

Quelques suggestions :

  • Faites lire vos procédures à des gens des autres services… vous serez surpris
  • Faites lire vos procédures à des pairs d’autres compagnies (en respectant les aspects confidentiels) , ceux que vous rencontrez pendant les formations d’Associations professionnelles
  • Comparez vos façons de faire en participant à des communautés de pratique 

4— Les résultats des secousses sont imprévisibles : aucun « plan », aucune « stratégie » ne pourra prévoir la prochaine secousse.

Passez-vous trop de temps à essayer de répéter les succès du passé et pas assez à observer les marchés autour de vous, ou à écouter vos employés qui eux, sont encore connectés à la réalité ?

Quelques suggestions

  • Organisez des rencontres fréquentes avec vos employés pour les écouter et laissez les parler de leur problèmes
  • Réglez leurs problèmes actuels pour leur donner le goût de régler les problèmes du futur par la suite

5— On PEUT se préparer à être secoué en facilitant le potentiel d’interactions pendant les accalmies

Organisez-vous des « town hall meeting » ou la communication provient du haut seulement et où lever la main pour poser une question vous garantit une réprimande (d’en haut ou du côté par vos pairs) ? 

Quelques suggestions :

  • Planifiez plutôt des rencontres de type Forum Ouvert 
  • Essayer les Future Search pour allez puiser dans cette immense mine d’information que sont vos employés? 
  • Planifiez des activités de « team building » régulièrement et non seulement quand les équipes risquent d’imploser?

6- On ne peut voir ces interactions… aléatoires, le mot le dit… et ça, ce côté imprévisible, les organisations n’aiment pas ça du tout!

Nos organisations passent un temps fou à planifier leur budget et à le réviser sans cesse pour tenter de le gérer 

Et elles investissent de grands efforts dans le plan stratégique.. un oxymore si on en croit Mintztberg : la planification stratégique n’est pas de la réflexion stratégique… dommage.

Les organisations tentent de contrôler leur marché et leur croissance depuis que F. Taylor a séparé le monde en deux, ceux qui pensent et ceux qui poussent. Malheureusement, en essayant de tout contrôler, nos gestionnaires se sont déconnectés de la réalité, ont cessé d’interagir avec les gens qui sont encore connectés à cette réalité et pire… limitent le flot d’information au cas où…

Quelques suggestions :

  • Eliminez l’Exercice budgétaire ! C’est possible et productif ! Des banques et de grandes organisations l’ont fait!
  • Organisez des sessions de questionnement en utilisant l’intelligence collective comme Synergy4

7— Les interactions aléatoires sont pourtant la base de la créativité et de l’innovation

Acceptez-vous les nouvelles idées ? 

Sont-elles soumises à un patron hiérarchique qui se sentira menacé par le changement induit par la nouvelle idée ? 

Les boîtes à suggestion sont-elles vidées au comité directeur ou filtrées par une équipe qui veut se les approprier?

Quelques suggestions ? Non pas ici… mais je vous invite à consulter mon ebook sur la créativité

 

Une cordelette est bien faible lorsqu’elle est seule, mais rapprochez-la de plusieurs de ces semblables et vous obtenez une corde qui elle, a une force à toute épreuve.

Une autre belle métaphore pour nous inciter à créer des liens.

Et pour inciter les gestionnaires à faciliter ces interactions. Après tout, ce sont des enzymes organisationnels.

Un enzyme organisationnel est un catalyseur, un agent facilitateur qui rapproche deux substrats pour que ces derniers puissent plus rapidement échanger de l’information et créer de la valeur.

Le principe du trombone est simple : la valeur sera créée par les interactions et celles-ci requièrent une fréquence et une intensité qui doit être engendrée par un environnement stimulant… la grande responsabilité des gestionnaires.

Suis-je trop dur envers les gestionnaires?

J’ai occupé le poste de gestionnaire pendant 10 ans. Comme plusieurs gestionnaires, je suis soudainement devenu « chef », catapulté dans ce merveilleux rôle sans support de développement réel, sans accompagnement… comme tous les autres quoi.

Et des erreurs de gestion, j’en ai fait assez pour remplir un grand livre.

Les seuls modèles de gestion que nous connaissons sont ceux qui nous entourent : nos parents, nos patrons, nos ministres… héritier de nos traditions familiales, religieuses et militaires. Taylor n’a rien inventé : l’armée et la religion avaient compris la notion de hiérarchie et de contrôle de l’information. Il a appliqué le tout au monde des affaires.

Nos modèles de gestions sont cependant périmés.

Le monde change et il change vite!

Il faut maintenant avancer sur un chemin volatile, incertain, complexe et ambigu (VICA). Nous n’avons pas le choix. Ce principe d’interaction aléatoire est la base de la vie ! Toutes nos cellules vivantes se reproduisent grâce aux interaction aléatoire de leurs métabolites, protéines, neurotransmetteur et autres molécules essentielles à la vie. Aucune de ces molécules n’attend le signal pour faire ce qu’elle doit faire. Le noyau contenant l’information (le précieux ADN) ne gère pas la cellule. Pourquoi nos organisations ne s’en inspirent-elles pas?

Comme le dit le dicton : ne cherche pas le chemin, avance et laisse une trace à suivre.

Avançons donc !
Un pas à la fois.

Avec notre fidèle boîte de trombones qui ne cherchent qu’à se lier entre eux.

Et comme le disait le cousin breton d’Astérix : Secouons-nous les mains!

 

Matériel protégé par le droit d’auteur © Aliter Concept™ 2018. S.V.P. ne pas imprimer ou copier sans la permission de l’auteur.

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