Combien de personnes sont nécessaires pour un changement organisationnel durable?

J’entends parler de changements organisationnels depuis toujours.

Oh, j’exagère, “toujours” est un peu trop long. Disons simplement que depuis mon entrée tardive sur le marché du travail, après avoir fini avec un succès mitigé une Maîtrise en biologie moléculaire (ben oui, les gens pensent que le titre de biologiste organisationnel est une pure fantaisie, mais non… je suis un scientifique de formation!!!) en 1989, je n’entends que cela.

Changement!

Réorganisation!

Re-Engineering!

Gestion du changement stratégique!

La seule chose qui ne change pas, c’est le changement, comme le dicton le dit!

 

On y investit des sommes énormes. On engage des équipes complètes ou on attend les directives officielles du siège social.

On l’attend avec anticipation ou angoisse, mais on sait qu’il arrive.

Henry Mintzberg se plaît à parler des mythes du management et commence son discours avec celui-ci:

“Nous vivons dans une période de grands changements”… l’énoncé favori des grands gestionnaires d’entreprise depuis… 75 ans!

Rien de nouveau donc.

Tout change.

Tout le temps.

Et rien ne change.

“Plus ça change, plus c’est la même chose” chantait Geddy Lee en 1978.

 

Et ça réussit presque toujours de la même façon: quand assez de gens adhèrent aux changements. Malcolm Gladwell le décrit bien dans son “point de bascule”.

Et ça commence presque toujours de la même façon.

Avec 1 seule personne qui croit assez au changement pour changer ses comportements.

Avec diligence.

Avec résilience.

Avec persistance.

Envers et contre tous, animée par cette vision éclatante du futur.

Encore et encore.

 

Je tombe dans l’autobiographie pour les prochaines lignes.

J’étais à l’époque gestionnaire de la formation pour une usine pharmaceutique de 1300 personnes. Responsable de la formation, j’ai aussi pris la responsabilité, sans vraiment la demander, de changer la culture de conformité de cette immense usine ayant survécu à de nombreuses réorganisations et fusions de cultures.

Dès mon arrivée, je fus étonné et choqué de voir que les employés avaient pris la mauvaise habitude de laisser leur boîte à lunch sur les rebords des fenêtres dans le long corridor menant à la cafétéria.

Quel panorama!

Un long corridor bordé de boîtes à lunch dans une usine pharmaceutique régit par des normes dictant les comportements sécuritaires et hygiéniques pour prévenir la contamination des produits et ainsi protéger la vie des patients.

Wow. (Pas de points d’exclamation du tout!!!)

Quelle dichotomie!

On se vante de fournir des produits non contaminés, mais on laisse des boîtes à lunch de tous acabits sur le bord des fenêtres, à la vue de tout un chacun… Incluant les clients, visiteurs et fournisseurs.

wow. (Tiens, même pas de majuscule!)

 

Je décidai alors, en bon gestionnaire de la formation et fervent supporteur de la conformité réglementaire, de changer cela. J’en avisai mes collègues gestionnaires afin de gagner leur support en expliquant l’importance du coup d’œil et de la conséquence sur l’impression que nous donnions à nos clients, fournisseurs ET aux inspecteurs du gouvernement. L’enthousiasme habituel de mes collègues à une autre de mes initiatives d’amélioration de la qualité me laissa douter du succès de mon projet.

Je commençai alors mon processus d’incitation au changement… seul.

D’abord une affiche stimulant leur sens civique de conformité.

Tout le monde sait que les affiches changent les comportements…

L’affiche avisant les gens du changement de comportement escompté a eu l’effet escompté: rien.

J’ai augmenté la dimension de l’affiche en y ajoutant de la couleur.

Tout le monde sait que les BELLES et GROSSES affiches fonctionnent mieux (si je me fie au nombre de belles grosses affiches que nous voyons partout sur les routes, ça DOIT marcher!!!).

Encore rien.

J’ai ajouté une date limite.

TOUT le monde sait que le sentiment d’urgence incite les gens à changer!

Rien.

J’ai ajouté une conséquence… Hahahahah (rire caverneux)… la peur devrait inciter le changement!

Rien.

Hmmm…

 

Il ne restait donc qu’à mettre à exécution mon plan machiavélique.

L’annonce avait été faite.

La conséquence bien définie: les boîtes à lunch seraient déplacées vers la cafétéria à une date précise.

La date fatidique approchait et rien ne changeait.

La date fatidique arriva et je passai à l’exécution.

Rien de plus simple.

Les boîtes à lunch furent toutes déplacées vers la cafétéria. Environ 15 mètres plus loin.

Et j’attendis.

Les réactions furent vives et peu agréables.

Les gens me reprochaient… Quoi au juste?

Les affiches avaient annoncé le changement pendant 1 mois.

J’avais avisé le comité de gestion.

J’ai simplement agi.

Et le lendemain… Toutes les boîtes à lunch étaient de retour sur le rebord des fenêtres.

Ah tiens….

Je les déplaçai à nouveau vers la cafétéria.

Lorsque mes collègues gestionnaires se plaignirent, je les incitai à m’aider…

Pfff.

Je continuai donc, seul, à déplacer les boîtes à lunch.

Et progressivement le nombre de boîtes à lunch diminua jusqu’à disparaître.

Et la situation resta ainsi longtemps.

De petits ajustements furent nécessaires: à l’occasion une boîte à lunch se perdait sur le rebord d’une fenêtre, mais je la ramenais à chaque fois vers le droit chemin, celui de la cafétéria.

Je quittai cette usine en 2005. La dernière fois que j’y suis retourné en 2014, les rebords de fenêtres étaient encore vides.

Rien de fantastique ici.

 

Combien de personnes sont nécessaires pour un changement organisationnel durable?

Il suffit d’une personne pour initier un changement.

UNE SEULE personne.

Du courage.
De la persistance.
De la résilience.

De la discipline.

Et une conviction profonde en une vision.

 

Je l’ai fait avec des boîtes à lunch.

Suivi de programmes de formation et d’éducation.

Et accompagné d’une foi inébranlable en mes collègues et les gens qui m’entouraient.

Je l’avoue cependant, l’inconfort m’a fait douter de mes actions.

Le changement n’est pas toujours confortable pour celui qui l’initie.

 

Mais si déplacer des boîtes à lunch est trop pour vous, vous pouvez aussi danser

 


 


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